lundi 4 mars 2013

Le voile noir - Anny Duperey





Quatrième de couverture:

      J'avais pensé, logiquement, dédier ces pages à la mémoire de mes parents - de mon père, surtout, l'auteur de la plupart des photos, qui sont la base et la raison d'être de ce livre. 

      Curieusement, je n'en ai pas envie. Leur dédier ce livre me semble une coquetterie inutile et fausse. Je n'ai jamais déposé une fleur sur leur tombe, ni même remis les pieds dans le cimetière où ils sont enterrés. Sans doute parce que obscurément je leur en veux d'avoir disparu si jeunes, si beaux, sans l'excuse de la maladie, sans même l'avoir voulu, quasiment par inadvertance. C'est impardonnable.

       Mon père fit ces photos. Je les trouve belles. Il avait, je crois, beaucoup de talent. J'avais depuis des années l'envie de les montrer. Parallèlement, montait en moi la sourde envie d'écrire, sans avoir recours au masque de la fiction, sur mon enfance coupée en deux. Ces deux envies se sont tout naturellement rejointes et justifiées l'une l'autre.

       Ces photos sont beaucoup plus pour moi que de belles images, elles me tiennent lieu de mémoire. J'ai le sentiment que ma vie a commencé le jour de leur mort - il ne me reste rien d'avant, d'eux, que ces images en noir et blanc.                                                                                                                                        A.D.


Mes impressions: 

Il est des livres qui s’imposent à vous sans que vous l’ayez vraiment voulu. Je suis chez Emmaüs, à la recherche de livres de poches, comme souvent. Quand soudain, je vois ce livre. Je prends, le regarde. Je ne peux plus le lâcher ou il ne veut plus que je le lâche, il m’appelle, je dois le prendre, il le faut.

Je connais son auteur, je connais son histoire. A sa sortie, en 1992, il y a 21 ans donc, ça ne me rajeunit pas, ma grande sœur l’a lu et nous en avions parlé. Le drame vécu par cette petite fille de huit ans ne peut pas laisser indifférent. Ce voile noir, ce voile protecteur, ce voile anesthésiant, ce voile pudique, Anny Duperey va s’employer à le soulever et se replonger dans tout ce douloureux passé pour mieux l’accepter enfin, peut-être… Peut-on vraiment finir par accepter l’inacceptable ? Surtout, quand le temps, les années et surtout la douleur, se sont employés à noyer, à étouffer, à enterrer, tous ces souvenirs, toute cette douleur dans les brumes de l’oubli…

Les souvenirs vont être notamment ravivés grâce aux photos de son père, le photographe Lucien Legras. Photos conservées pendant des années dans le fameux « tiroir sarcophage » sans jamais être regardées. Trop de chagrins, trop de colères, la peur de la douleur qu’on ravive, l’envie qui ne vient pas, l’envie qu’on ne laisse pas venir à soi. Plus tard, il sera encore temps, puis un jour, il est temps.

Je n’ai pas du tout ouvert le livre avant de le lire, je n’ai pas regardé les photos avant. Je voulais les découvrir au fur et à mesure de ma lecture, chapitre après chapitre, selon la chronologie voulue par l’auteur. Je ne pouvais pas faire autrement, il le fallait.

Le photographe a un réel talent. Les angles, les prises de vue, les jeux d’ombres et de lumière, les reflets dans l’eau, la brume, la neige, nous donnent des photos marquantes, touchantes, parfois troublantes. C’est à partir de ces images d’un passé ressurgi que l’écriture va prendre forme, va être le moteur, l’élément déclencheur nécessaire à la démarche. Démarche qui ne peut pas être simple, quand certaines émotions, certaines douleurs ressurgissent, jaillissent et vous éclaboussent, au détour d’une image, d’un maillot de bain en tricot, d’une manche retroussée, d’un regard tellement vague, tellement déjà ailleurs, au détour d’un mot aussi…

N’allez pas croire que tout n’est que tristesse et noirceur, ses souvenirs riment aussi avec plaisir et avec rires, c’est un livre sur la vie. Que j’ai ris en découvrant la recette du « gâteau de mémé », un défi aux lois de la diététique, une alternative à la faim dans le monde peut-être…

Les chapitres défilent, les pages se tournent, la fin approche, le récit de leur fin aussi, les mots nous portent, l’émotion nous transporte. Les mots d’une femme, les maux d’une petite fille, son regard. Comment tout s’est passé, une enfant assoupie, l’asphyxie,  des parents « endormis » pour toujours, ce sifflement, le réveil, l’inquiétude, la découverte, le brouillard, le vide, le voile…

Je finirai sur le laconique chapitre intitulé « Les enfants sont charmants » où quand l’antiphrase prend tout son sens. Comment culpabiliser davantage encore une enfant qui n’avait déjà besoin de personne pour ça, « Dis, c’est vrai que tu as laissé mourir tes parents ? » Oui, « Les enfants sont charmants » parfois…

Alors que je n’avais jamais envisagé lire ce livre que j’imaginais lourd et mélodramatique, sa lecture m’a emporté, m’a transporté et parfois ému. Une écrite forte, d’une grande puissance d’évocation, au service de l’histoire d’une vie. Anny Duperey, une comédienne, un écrivain.


 Anny Duperey photographiée par son père...

"Le gâteau de mémé":

"De cette époque, je garde une recette que je n'ai jamais oubliée. Pour ma sœur et moi, il reste LE gâteau, la gâteau de mémé, le gâteau de notre enfance. [...] Je continue de le fabriquer pour les Noëls et anniversaires, une manière de célébrer un vestige, de perpétuer l'unique tradition familiale.
Une fois la fête passée, nous avons tout le loisir, ma sœur et moi, de déguster ce gâteau fabuleux au petit déjeuner, puis à tous les repas, puis au goûter, et ceci pendant plusieurs jours en mémoire de notre grand-mère, car sa teneur en calories défiant tous les records le rend indigeste pour d'autres estomacs que les nôtres... Voici de quoi se compose la chose:
Une purée de châtaignes mélangée de chocolat noir fondu, liés par une crème au beurre et de sucre à poids égal, puis de la poudre d'amande parfumée au kirsch. Le tout, décoré de cerneaux de noix, est mis au réfrigérateur une nuit (c'est le beurre qui fait prendre corps au bloc) et finalement nappé d'une crème anglaise (douze jaunes d’œufs pour un litre de lait environ). Tout y est. C'est magnifique. Aucun être humain normal ne peut en ingurgiter plus de trois cuillères, nous, on vide un compotier sans problème. La nostalgie de l'enfance aurait-elle une influence sur les sucs gastriques ?
Ce gâteau, c'est tout le portrait de ma grand-mère, délicieux et lourd, rassurant à souhait et relativement dangereux pour les constitutions fragiles - gare au KO hépatique."

Seuil
ISBN 2 02 014746 7
236 pages

(acheté chez Emmaüs)

14 commentaires:

  1. La mort d’un père, d’une mère, d’un enfant est ce qu’il y a de plus difficile à accepter. Ta chronique est juste MAGNIFIQUE.
    Il a fallut que je m’y reprenne à deux fois pour la finir tellement elle est touchante. Tu as pesé tes mots pour qu’ils ne soient pas des maux justement.

    Elle nous rappelle combien nous sommes éphémères et qu’il nous faut profiter des personnes que l’on aime sans perdre de temps, pour n’avoir aucun regret.
    Merci de tes mots. Ils me touchent car ils sont beaux, vrais, doux, émouvants. Merci de ce partage tout simplement.

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  2. Merci de nous faire découvrir ce livre. Je crois qu'elle en a écrit d'autres dont un sur les chats (mais je me trompe peut-être).
    Bonne journée, FLaure

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    1. Tu ne te trompes pas, il s'agit du livre "Les Chats de hasard" qui m'attend dans ma PAL.

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  3. Oui...il y a des livres qui s'imposent à nous...
    Merci...

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  4. Très beau billet. Franchement je ne me serais jamais arrêté sur ce livre si je l'avais croisé un jour.

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    1. Je ne pensais pas le lire non plus un jour et pourtant...

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  5. Le gateau de Mémé quel épisode attendrissant.

    Je regrette d'être passée à coté de ce livre.
    Un jour peut être...mais pas encore.... :)
    Ce moment viendra ou il sera une évidence comme pour toi :D

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  6. Je l'ai lu récemment aussi et le livre sur les chats m'attend dans ma Pal, également! C'est une histoire très émouvante mais parfaitement maîtrisée grâce à l'écriture, belle et classique. Juste ce qu'il fallait pour ne pas tomber dans le larmoyant.

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  7. « Surtout, quand le temps, les années et surtout la douleur, se sont employés à noyer, à étouffer, à enterrer, tous ces souvenirs, toute cette douleur dans les brumes de l’oubli… »

    Les mots que tu poses sur les maux de l’auteure sont touchants. J’aime cette infinie douceur et le respect que tu exprimes pour le drame vécu par cette petite fille de huit ans. Il y a des billets qui me touchent, celui-ci en est un…

    Et puis, je me laisserais bien tenter par le gâteau de mémé! Miammm Et plus que trois cuillères :-))

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    1. Figure qu'il m'a fallu rechercher dans le billet pour être certain que c'est bien moi qui avait écrit ça. ;)

      Le gâteau de mémé, LE remède à la faim dans le monde ! :D

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