Quatrième de couverture:
J'avais pensé, logiquement, dédier ces pages à la mémoire de mes parents
- de mon père, surtout, l'auteur de la plupart des photos, qui sont la
base et la raison d'être de ce livre.
Curieusement, je n'en ai pas
envie. Leur dédier ce livre me semble une coquetterie inutile et fausse.
Je n'ai jamais déposé une fleur sur leur tombe, ni même remis les pieds
dans le cimetière où ils sont enterrés. Sans doute parce que
obscurément je leur en veux d'avoir disparu si jeunes, si beaux, sans
l'excuse de la maladie, sans même l'avoir voulu, quasiment par
inadvertance. C'est impardonnable.
Mes impressions:
Il est des livres qui s’imposent
à vous sans que vous l’ayez vraiment voulu. Je suis chez Emmaüs, à la recherche
de livres de poches, comme souvent. Quand soudain, je vois ce livre. Je prends,
le regarde. Je ne peux plus le lâcher ou il ne veut plus que je le lâche, il m’appelle,
je dois le prendre, il le faut.
Je connais son auteur, je connais
son histoire. A sa sortie, en 1992, il y a 21 ans donc, ça ne me rajeunit pas,
ma grande sœur l’a lu et nous en avions parlé. Le drame vécu par cette petite
fille de huit ans ne peut pas laisser indifférent. Ce voile noir, ce voile
protecteur, ce voile anesthésiant, ce voile pudique, Anny Duperey va s’employer
à le soulever et se replonger dans tout ce douloureux passé pour mieux l’accepter
enfin, peut-être… Peut-on vraiment finir par accepter l’inacceptable ?
Surtout, quand le temps, les années et surtout la douleur, se sont employés à
noyer, à étouffer, à enterrer, tous ces souvenirs, toute cette douleur dans les
brumes de l’oubli…
Les souvenirs vont être notamment
ravivés grâce aux photos de son père, le photographe Lucien Legras. Photos
conservées pendant des années dans le fameux « tiroir sarcophage »
sans jamais être regardées. Trop de chagrins, trop de colères, la peur de la
douleur qu’on ravive, l’envie qui ne vient pas, l’envie qu’on ne laisse pas
venir à soi. Plus tard, il sera encore temps, puis un jour, il est temps.
Je n’ai pas du tout ouvert le
livre avant de le lire, je n’ai pas regardé les photos avant. Je voulais les
découvrir au fur et à mesure de ma lecture, chapitre après chapitre, selon la
chronologie voulue par l’auteur. Je ne pouvais pas faire autrement, il le
fallait.
Le photographe a un réel talent. Les
angles, les prises de vue, les jeux d’ombres et de lumière, les reflets dans l’eau,
la brume, la neige, nous donnent des photos marquantes, touchantes, parfois
troublantes. C’est à partir de ces images d’un passé ressurgi que l’écriture va
prendre forme, va être le moteur, l’élément déclencheur nécessaire à la
démarche. Démarche qui ne peut pas être simple, quand certaines émotions,
certaines douleurs ressurgissent, jaillissent et vous éclaboussent, au détour d’une
image, d’un maillot de bain en tricot, d’une manche retroussée, d’un regard
tellement vague, tellement déjà ailleurs, au détour d’un mot aussi…
N’allez pas croire que tout n’est
que tristesse et noirceur, ses souvenirs riment aussi avec plaisir et avec
rires, c’est un livre sur la vie. Que j’ai ris en découvrant la recette du « gâteau
de mémé », un défi aux lois de la diététique, une alternative à la faim
dans le monde peut-être…
Les chapitres défilent, les pages
se tournent, la fin approche, le récit de leur fin aussi, les mots nous
portent, l’émotion nous transporte. Les mots d’une femme, les maux d’une petite
fille, son regard. Comment tout s’est passé, une enfant assoupie, l’asphyxie, des parents « endormis » pour
toujours, ce sifflement, le réveil, l’inquiétude, la découverte, le brouillard,
le vide, le voile…
Je finirai sur le laconique chapitre
intitulé « Les enfants sont charmants » où quand l’antiphrase prend
tout son sens. Comment culpabiliser davantage encore une enfant qui n’avait déjà
besoin de personne pour ça, « Dis, c’est vrai que tu as laissé mourir tes
parents ? » Oui, « Les enfants sont charmants » parfois…
Alors que je n’avais jamais
envisagé lire ce livre que j’imaginais lourd et mélodramatique, sa lecture m’a
emporté, m’a transporté et parfois ému. Une écrite forte, d’une grande
puissance d’évocation, au service de l’histoire d’une vie. Anny Duperey, une
comédienne, un écrivain.
Anny Duperey photographiée par son père...
"Le gâteau de mémé":
"De cette époque, je garde une recette que je n'ai jamais oubliée. Pour
ma sœur et moi, il reste LE gâteau, la gâteau de mémé, le gâteau de
notre enfance. [...] Je continue de le fabriquer pour les Noëls et
anniversaires, une manière de célébrer un vestige, de perpétuer l'unique
tradition familiale.
Une fois la fête passée, nous avons tout le loisir, ma sœur et moi, de déguster ce gâteau fabuleux au petit déjeuner, puis à tous les repas, puis au goûter, et ceci pendant plusieurs jours en mémoire de notre grand-mère, car sa teneur en calories défiant tous les records le rend indigeste pour d'autres estomacs que les nôtres... Voici de quoi se compose la chose:
Une purée de châtaignes mélangée de chocolat noir fondu, liés par une crème au beurre et de sucre à poids égal, puis de la poudre d'amande parfumée au kirsch. Le tout, décoré de cerneaux de noix, est mis au réfrigérateur une nuit (c'est le beurre qui fait prendre corps au bloc) et finalement nappé d'une crème anglaise (douze jaunes d’œufs pour un litre de lait environ). Tout y est. C'est magnifique. Aucun être humain normal ne peut en ingurgiter plus de trois cuillères, nous, on vide un compotier sans problème. La nostalgie de l'enfance aurait-elle une influence sur les sucs gastriques ?
Ce gâteau, c'est tout le portrait de ma grand-mère, délicieux et lourd, rassurant à souhait et relativement dangereux pour les constitutions fragiles - gare au KO hépatique."
Une fois la fête passée, nous avons tout le loisir, ma sœur et moi, de déguster ce gâteau fabuleux au petit déjeuner, puis à tous les repas, puis au goûter, et ceci pendant plusieurs jours en mémoire de notre grand-mère, car sa teneur en calories défiant tous les records le rend indigeste pour d'autres estomacs que les nôtres... Voici de quoi se compose la chose:
Une purée de châtaignes mélangée de chocolat noir fondu, liés par une crème au beurre et de sucre à poids égal, puis de la poudre d'amande parfumée au kirsch. Le tout, décoré de cerneaux de noix, est mis au réfrigérateur une nuit (c'est le beurre qui fait prendre corps au bloc) et finalement nappé d'une crème anglaise (douze jaunes d’œufs pour un litre de lait environ). Tout y est. C'est magnifique. Aucun être humain normal ne peut en ingurgiter plus de trois cuillères, nous, on vide un compotier sans problème. La nostalgie de l'enfance aurait-elle une influence sur les sucs gastriques ?
Ce gâteau, c'est tout le portrait de ma grand-mère, délicieux et lourd, rassurant à souhait et relativement dangereux pour les constitutions fragiles - gare au KO hépatique."
Seuil
ISBN 2 02 014746 7
236 pages
(acheté chez Emmaüs)
La mort d’un père, d’une mère, d’un enfant est ce qu’il y a de plus difficile à accepter. Ta chronique est juste MAGNIFIQUE.
RépondreSupprimerIl a fallut que je m’y reprenne à deux fois pour la finir tellement elle est touchante. Tu as pesé tes mots pour qu’ils ne soient pas des maux justement.
Elle nous rappelle combien nous sommes éphémères et qu’il nous faut profiter des personnes que l’on aime sans perdre de temps, pour n’avoir aucun regret.
Merci de tes mots. Ils me touchent car ils sont beaux, vrais, doux, émouvants. Merci de ce partage tout simplement.
Un grand merci à toi. :)
SupprimerMerci de nous faire découvrir ce livre. Je crois qu'elle en a écrit d'autres dont un sur les chats (mais je me trompe peut-être).
RépondreSupprimerBonne journée, FLaure
Tu ne te trompes pas, il s'agit du livre "Les Chats de hasard" qui m'attend dans ma PAL.
SupprimerOui...il y a des livres qui s'imposent à nous...
RépondreSupprimerMerci...
Merci aussi... ^^
SupprimerTrès beau billet. Franchement je ne me serais jamais arrêté sur ce livre si je l'avais croisé un jour.
RépondreSupprimerJe ne pensais pas le lire non plus un jour et pourtant...
SupprimerLe gateau de Mémé quel épisode attendrissant.
RépondreSupprimerJe regrette d'être passée à coté de ce livre.
Un jour peut être...mais pas encore.... :)
Ce moment viendra ou il sera une évidence comme pour toi :D
L'avenir te le dira...
SupprimerJe l'ai lu récemment aussi et le livre sur les chats m'attend dans ma Pal, également! C'est une histoire très émouvante mais parfaitement maîtrisée grâce à l'écriture, belle et classique. Juste ce qu'il fallait pour ne pas tomber dans le larmoyant.
RépondreSupprimerJe n'aurais pas mieux dit. :)
Supprimer« Surtout, quand le temps, les années et surtout la douleur, se sont employés à noyer, à étouffer, à enterrer, tous ces souvenirs, toute cette douleur dans les brumes de l’oubli… »
RépondreSupprimerLes mots que tu poses sur les maux de l’auteure sont touchants. J’aime cette infinie douceur et le respect que tu exprimes pour le drame vécu par cette petite fille de huit ans. Il y a des billets qui me touchent, celui-ci en est un…
Et puis, je me laisserais bien tenter par le gâteau de mémé! Miammm Et plus que trois cuillères :-))
Figure qu'il m'a fallu rechercher dans le billet pour être certain que c'est bien moi qui avait écrit ça. ;)
SupprimerLe gâteau de mémé, LE remède à la faim dans le monde ! :D