dimanche 22 janvier 2012

Paris est une fête - Ernest Hemingway



Comme beaucoup, c’est le film de Woody Allen, Midnight in Paris, qui m’a donné envie de me plonger dans ce livre d’Hemingway mais aussi le livre Alabama Song, version romancée de la vie de Zelda Fitzgerald par Gilles Leroy, que j’avais littéralement dévoré et adoré.

Hemingway nous parle ici de sa vie, de son travail d’écrivain et de ses rencontres dans la capitale française dans les années vingt, de 1921 à 1926 pour être précis. Les chapitres les plus intéressants sont bien sûr ceux concernant ses rencontres avec des personnalités telles que Gertrude Stein, Ezra Pound, Sylvia Beach et bien sûr Scott Fitzgerald.

Les portraits qu’il brosse sont sans doute proche du réel, son souhait, mais rarement flatteur pour les intéressés. Quand Gertrude Stein, connue pour partager sa vie avec une femme, lui explique la différence entre les homosexuelles hommes et femmes, accrochez-vous, on est bien loin du politiquement correct « Ce qui importe, c’est que l’acte commis par les homosexuels mâles est laid et répugnant ; et après ils se dégoûtent eux-mêmes. Ils boivent ou se droguent pour y remédier, mais l’acte les dégoûte et ils changent tout le temps de partenaire et ne peuvent jamais être vraiment heureux. […] Pour les femmes, c’est le contraire. Elles ne font rien qui puisse les dégoûter, rien qui soit répugnant ; et après elles sont heureuses et peuvent vivre ensemble. »

Certains passages particulièrement intéressants nous permettent de découvrir la façon dont Hemingway travaille et perçoit le processus de création « Quand j’écrivais quelque chose, j’avais besoin de lire après avoir posé la plume. Si vous continuez à penser à ce que vous écrivez, en dehors des heures de travail, vous perdez le fil et vous ne pouvez le ressaisir le lendemain. Il vous faut faire de l’exercice, fatiguer votre cops, et il vous est recommandé de faire l’amour avec qui vous aimez. C’est même ce qu’il y a de meilleur. Mais ensuite, quand vous vous sentez vide, il vous faut lire afin de ne pas penser à votre œuvre et de ne pas vous en préoccuper jusqu’au moment où vous vous remettez à écrire. J’avais déjà appris à ne jamais assécher le puits de mon inspiration, mais à arrêter alors qu’il y avait encore quelque chose au fond pour laisser la source remplir le réservoir pendant la nuit. » On découvre les doutes qui le tenaillent : «Je savais qu’il me fallait écrire un roman. Mais cela me semblait une entreprise impossible, quand j’avais tant de difficultés à écrire des paragraphes […]. Il fallait d’abord écrire des récits plus longs, comme on s’entraine pour des courses plus longues. »

Ecrivain désargenté après avoir renoncé au journalisme pour se consacrer à son travail de romancier, il nous montre que la faim peut modifier sa perception des choses : « J’ai appris à comprendre bien mieux Cézanne et à saisir vraiment comment il peignait ses paysages, quand j’étais affamé. Je me demandais s’il avait faim lui aussi lorsqu’il peignait […] ». On apprend aussi que Sylvia Beach, propriétaire de la célèbre librairie Shakespeare & Co, lui permet de se faire prêter les livres à moindre frais et d’approfondir sa connaissance des auteurs russes en particulier.

Sa réponse à quelqu’un qui lui fait part de sa difficulté à écrire nous donne une idée de ce qu’il peut penser des critiques en général : « Ecoute, si tu ne peux pas écrire, pourquoi ne pas te faire critique littéraire ? » De là, à penser qu’il considère les critiques comme des écrivains ratés, il n’y a qu’un pas…

A propos de Fitzgerald, je dirai que leur relation tient de l’attraction-répulsion, un mélange d’admiration et de rejet face à ce que représente l’auteur de Gatsby le magnifique. On le sent tantôt admiratif de son talent, tantôt jaloux de son succès, le tout assaisonné d’une bonne dose de mépris. Il le décrit de manière équivoque, presque séduit « un visage mi-beau mi-joli […] cette bouche si troublante pour qui ne connaissait pas Scott et plus troublante encore pour qui le connaissait. » mais conclut en le décrivant un peu court sur pattes. Il ne le ménage pas non plus quant à la façon dont il recycle certaines de ces nouvelles entre autre « Il m’avait raconté à la Closerie des Lilas comment il écrivait des nouvelles qu’il croyait bonnes, et qui l’étaient effectivement, pour le Post, et comment ensuite il les modifiait avant de les soumettre à des magazines, sachant exactement par quels trucs transformer ses nouvelles en textes publiables dans tel ou tel périodique. J’avais été scandalisé et l’avais traité de putain. » Pendant le fameux périple à Lyon, il nous dépeint un Fitzgerald, hypocondriaque, puéril, en un mot un boulet qui de plus ne tient pas l’alcool…

Quant à Zelda, la femme de Scott, qu’il considérait comme étant nuisible au talent de son mari, il lui consacre un chapitre. Et dès la fin du précédent chapitre, on sent que son portrait va être particulièrement relevé à la façon dont il termine en apothéose comme pour annoncer la descente en règle qui va suivre «Je ne connaissais pas encore Zelda et ne savais point, par conséquent, quels terribles atouts Scott avait contre lui. Mais nous ne tarderions pas à le savoir. » Il la compare physiquement à un rapace, le faucon. On constate que la haine qui les opposait n’est pas une légende. Il nous dépeint une sorte de harpie castratrice ravi que son mari ne soit plus en état d’écrire «Zelda sourit […] quand elle le vit boire du vin. J’ai appris à très bien connaitre ce sourire. Il signifiait qu’elle savait que Scott ne pourrait pas écrire ». Il la décrit insatisfaite de la taille du sexe de Fitzgerald. Selon lui, c’est encore une façon pour elle de démolir Fitzgerald « -Mais pourquoi a-t-elle dit ça ? - Pour te rendre incapable d’initiative. » Il rassure son ami mais s’y attardera un chapitre entier, rien de moins. Un ami n’aurait-il pas plutôt passé cet épisode sous silence ? L’histoire a démontré par la suite que Zelda, qui écrivait aussi, a sans doute été plus victime que bourreau, son mari ne s’étant pas gêné pour piller ses écrits.

Au final, l’écriture d’Hemingway m’a beaucoup plu. Son regard sur le couple Fitzgerald m’a particulièrement intéressé. Les portraits sont sans concession. Il nous rend familiers tous ces personnages qu’il a croisé durant son séjour parisien et nous fait découvrir et partager leur mode de vie. Mais même s’il fait aussi parfois preuve d’autocritique, on ne peut pas dire que son regard acéré sur eux le rende très sympathique.

ISBN  9782070364657 
256 pages
1973
8,00€
 

9 commentaires:

  1. Tu me donnes gravement envie de le lire :) D'Hemigway, je n'ai lu que "Le vieil homme et la mer", j'ai de grosses lacunes :(

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    1. Un livre que je ne peux que te conseiller !
      Quant au "Vieil et la mer", je l'ai lu au collège je crois...

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  2. J'adore cet auteur et il faut que je lise celui-ci !
    #JeSuisParis

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    1. Il semblerait que beaucoup de gens le relisent ces temps-ci...

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  3. Ha mais oui, le film de Woody Allen (vu en avion, j'avais bien aimé)(et maintenant en avion on a du choix)

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    1. L'envie de lire un livre tiens parfois à peu de choses... ;)
      Et sinon, le voyage était sympa ?

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  4. 2011... Ouest américain, donc complètement ce que j'aime. Depuis je voyage moins.

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  5. Ohhhhhhhhhh j’ai vraiment envie de découvrir la vie de ce grand homme! J’sais pas si ici il s’est vendu aussi comme des p’tits pains chauds après les événements de Paris… je vais ouvrir grands les yeux pour le trouver! Ses réflexions sur la faim sont touchantes et super bon choix de citations...

    Fitzgerald un hypocondriaque, puéril, alcoolique en plus d’être un boulet, ça lui fait une belle jambe… :D

    Suuuper billet ma grenouillE!

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