Quatrième de couverture:
Un universitaire marocain rumine une vie
médiocre. Son couple est usé et son poste d’enseignant l’ennuie.
Jusqu’au jour où il est sélectionné par la mairie de Naples pour venir
rédiger un portrait de la ville. À peine arrivé, il découvre un bâtiment
extraordinaire et délabré : l'Auberge des Pauvres. Sa dernière résidente, la Vieille, le conduira dans un dédale de contes pittoresques et flamboyants...
"La passion est un ouragan, quelque chose de sublime qui précipite le désastre."
Écrivain
d'origine marocaine mondialement connu, Tahar Ben Jelloun est né à Fès
en 1944. Il a écrit des romans, des essais et des recueils de poésie. Il
a reçu le prix international IMPAC en 2004 pour Cette aveuglante
absence de lumière, également en Points.
« C'est tout Ben Jelloun, ces mille et une sources d'invention, cette crue bienfaisante de l'imaginaire. » (Le Monde)
L'Auberge des pauvres...
Mes impressions:
Parlons d’abord de ce livre en tant qu’objet. Une couverture dans
des nuances de rouge. Rouge. Rouge chaud, rouge passion, rouge sang. La vie,
l’amour, la mort. Un vieux canapé ou un vieux fauteuil, plusieurs tissus
chamarrés, tissus fleuris, tissus rayés. Un mur, un mur patiné par la vie, un
mur patiné par le temps.
"C’est
une tristesse qui a pris les couleurs de la ville impériale, rouge ocre, rouge
sang, rouge brique, rouge crépuscule, rouge coquelicot, rouge cramoisi, rouge
tout rouge comme une veillée de fin de Ramadan, rouge comme une blessure ouverte,
comme une nuit opaque, comme un fleuve peint par le soleil couchant, comme le
silence de ceux qui nous ont quittés et continuent à nous parler en nous
adressant des signaux de lumière rouge, comme le feu qui s’éteint, n’ayant plus
rien à brûler, rouge comme les mots qui se consument au seuil de la vieille
porte, des mots injustes et impitoyables qui font mal le jour comme la nuit,
couleur fondue dans l’isolement du silence qui s’enlise […]"
Parlons de l’histoire maintenant. C’est l’histoire d’un homme
lassé par son travail, lassé par sa femme, lassé par sa vie. Il en est sûr, son
échappatoire se fera par l’écriture ou ne se fera pas. Joyce a eu son Ulysse,
il aura le sien, enfin quelque chose dans le genre. Il ne sait pas encore très
bien. Son salut va venir d’un concours d’écriture qu’il va remporter et pour
lequel il est envoyé à Naples afin d’écrire la ville…
Un étrange appel téléphonique va le conduire jusqu’à la bien
nommée « Albergo dei Poveri », l’Auberge des pauvres. Un imposant
bâtiment délabré, laissé totalement à l’abandon après avoir accueilli autrefois
toutes les misères du monde. Dans les multiples et labyrinthiques méandres de
ce palais des cabossés de la vie, il va faire une rencontre capitale avec une
vieille femme : la Vieille.
"Je suis devenue une terre sèche
et aride, un coeur blessé, une eau saumâtre, un figuier sauvage sans fruits,
une colline de détritus, une plante brûlée, un buis abandonné tout jauni à
l'intérieur, une feuille de papier gras, un livre illisible, une voix tapie au
fond d'un puits dans un pays sans nom, une écorce amère, un miroir éteint, une
vieille pierre infiltrée d'eau et de sel, une algue accrochée à des souvenirs
pleins de mouches, des souvenirs fatigués d'être là, ancrés chez une vielle
femme qui n'a plus sa tête..."
Détentrice de toutes les histoires et de tous les secrets les plus
sombres et les plus impudiques de la ville et de ses habitants, cette vieille
femme aussi fascinante que repoussante m’est apparue comme une sorte de
gorgone, de méduse gardienne de toutes ces âmes perdues… Elle a vécu plusieurs
vies, elle a aimé, elle a souffert mais jamais à moitié. Quand elle a aimé,
c’est passionnément, quand elle a souffert, c’est douloureusement. Perchée sur
son trône, son vieux fauteuil hors d’âge et hors d’usage, elle règne sur sa
cour, sur ses sujets telle une déesse underground autant vénérée que redoutée
dans cette Naples interlope. Des bas-fonds de la ville aux tréfonds de l’âme
humaine. La Vieille comme une allégorie
de la Ville. Vieille, ville… L’âme de la ville.
"En fait, une ville ce sont des
visages, des corps qui bougent, se confondent, se disputent, s’enlacent, se
déchirent, des foules qui se pressent devant un marchand de poulpe, un cercueil
qui passe, du linge qui sèche sur un balcon ou entre deux immeubles dans une
rue étroite, un peu de suie sur la pierre, du néon qui clignote, des odeurs de
cuisine, un parfum de vieille dame, un autobus en panne dans une rue très
passante, des Gitans qui tendent la main, d’autres qui fouillent dans votre
sac, une galerie vide le matin, pleine d’immigrés le soir, un café tous les
cent mètres, des enfants qui traversent sans faire attention, des rumeurs, de la
fumée qui monte au ciel, des amoureux qui se croient seuls au monde, des nuages
qui s’amassent, une voiture de pompiers bloquée dans une ruelle, un libraire
qui chante, un mendiant qui joue de l’accordéon, une lumière descendant
lentement du ciel, une femme qui pleure la tête contre le mur, un tramway
arrêté, un funiculaire qui monte, un autre qui descend, une actrice qui se tord
la cheville, un mangeur de pizzas qui la regarde, un poète qui perd la tête, un
vieux matelas couvert de taches de sang et de sperme sur le trottoir, une télé
morte, un réfrigérateur cassé, une publicité pour des serviettes hygiéniques,
une autre pour des couches, un balcon qui penche, un jour il tombera sans tuer
ou en tuant des passants, la place du Plébiscite ouverte aux artistes, le
palais royal s’ennuie, les églises se remplissent de touristes, l’odeur du café
le matin, l’odeur du pain grillé et moi qui me réveille après une longue nuit
d’un bon sommeil…C’est ça une ville vivante…"
De récits en histoires, de confidences en réflexions, d’illusions
en désillusions, chacun apporte sa contribution et sa pierre à l’édifice, de la
ville comme de l’histoire… Chacun cherche son moi… Histoires d’amours au
pluriel, amours finis, amours perdus, amours rêvés, amours fantasmés, amours
contrariés…
"[…] elle ne portait rien sous la
robe, pas de culotte, pas de soutien-gorge, rien, ça se voyait, elle me demanda
de lui retirer sa robe, je me mis à genoux et mis ma tête contre son pubis, il
sentait le parfum de l’amour, quelle merveille, quelle senteur paradisiaque, tu
sais, ce parfum unique au monde et qui n’est jamais le même d’une femme à l’autre
[…], bref elle sentait le musc, la beauté, la bonté, la vie, voilà c’est le parfum
de la vie, le parfum du bonheur[…]."
J’ai adoré ce livre donc j’ai d’autant plus de mal à en parler.
Une langue magnifique, un émerveillement à chaque page, l’envie de tout noter,
de tout relever. Des retours en arrière, pour relire un paragraphe, une fois,
deux fois, trois fois. Pour en savourer la poésie, la musicalité, le bon sens.
Ce livre m’a emporté, transporté, touché, ému, séduit. Jamais je n’ai eu un
livre rempli d’autant de post-it. Envie de me souvenir de tout. Jamais je ne
crois avoir autant savouré les phrases d’un livre. Plus que l’histoire, j’ai
été envouté, c’est ça, envouté par l’écriture de Tahar Ben Jelloun. Magique,
magnifique, poétique…
Extraits:
"Après tout, une forte passion, même quand ça se termine mal, c'est pas mal, ça fout un peu de désordre et beaucoup de vie dans les veines."
"Je pense que nous avons tous dans notre vie des moments d'absence, un état d'inconscience qui nous gouverne et nous fait faire des choses que nous regrettons ensuite. C'est ce que j'appelle le destin. on n'est pas maître de son destin. Je ne suis pas fataliste mais il y a un moment où on subit la vie tout en croyant que c'est nous qui décidons."
"C'est formidable les gens qui ont des certitudes, qui ne doutent jamais. Ce sont des gens en béton. Mais il faut se méfier du béton. La moindre fêlure dans le mur peut entrainer la chute de toute la maison."
"La vie et l'amour, c'est la même chose. Quand l'amour s'absente, comme la vie, le femme s'éteint, elle devient une autre. Une femme fanée, c'est pas beau. Les femmes ont davantage besoin de sentiments, de poésie et de magie pour rester vivantes.[...] Les femmes donnent, prennent des risques, vont jusqu'au bout de leur folie. Les hommes, c'est différent. Ils aiment la conquête, ensuite ils s'ennuient. Ils ne sont pas très courageux."
"Toute dépression est une rupture brutale, une confrontation avec soi dans la solitude."
"La dépression frappe au hasard. C'est une maladie, pas un état d'âme."
"[...] toutes les histoires sont des histoires d'amour, et quand elles se terminent mal, elles échouent là, dans ce sous-sol, comme des épaves, de tristes choses qui se cognent contre le mur de la vie."
"Il faut éviter d'atteindre les sommets, surtout dans la passion."
"Tout a commencé par une nuit claire et douce, il y a longtemps. On ne se méfie jamais assez des nuits claires et douces.. L'âme se laisse séduire, abdique et se retrouve brisée."
"On parle d'amour quand on souffre. Le manque, l'absence, l'attente attisent la souffrance, et on appelle ça de l'amour."
"Ces deux hommes ne parlent que d'amour, on dirait des femmes. Gino est un grand compositeur; quant à l'écrivain, il écrit des poèmes qui calment même les chats..."
"L'Islam, on lui fait dire et faire ce qu'on veut. La religion, c'est souvent le tout et le contraire de tout. Il faut que chacun y puise son miel."
"Chaque personne est une armoire pleine d'histoires, il suffit d'ouvrir les tiroirs, c'est comme un chapelet qu'on égrène."
Mon exemplaire...
Extraits:
"Après tout, une forte passion, même quand ça se termine mal, c'est pas mal, ça fout un peu de désordre et beaucoup de vie dans les veines."
"Je pense que nous avons tous dans notre vie des moments d'absence, un état d'inconscience qui nous gouverne et nous fait faire des choses que nous regrettons ensuite. C'est ce que j'appelle le destin. on n'est pas maître de son destin. Je ne suis pas fataliste mais il y a un moment où on subit la vie tout en croyant que c'est nous qui décidons."
"C'est formidable les gens qui ont des certitudes, qui ne doutent jamais. Ce sont des gens en béton. Mais il faut se méfier du béton. La moindre fêlure dans le mur peut entrainer la chute de toute la maison."
"La vie et l'amour, c'est la même chose. Quand l'amour s'absente, comme la vie, le femme s'éteint, elle devient une autre. Une femme fanée, c'est pas beau. Les femmes ont davantage besoin de sentiments, de poésie et de magie pour rester vivantes.[...] Les femmes donnent, prennent des risques, vont jusqu'au bout de leur folie. Les hommes, c'est différent. Ils aiment la conquête, ensuite ils s'ennuient. Ils ne sont pas très courageux."
"Toute dépression est une rupture brutale, une confrontation avec soi dans la solitude."
"La dépression frappe au hasard. C'est une maladie, pas un état d'âme."
"[...] toutes les histoires sont des histoires d'amour, et quand elles se terminent mal, elles échouent là, dans ce sous-sol, comme des épaves, de tristes choses qui se cognent contre le mur de la vie."
"Il faut éviter d'atteindre les sommets, surtout dans la passion."
"Tout a commencé par une nuit claire et douce, il y a longtemps. On ne se méfie jamais assez des nuits claires et douces.. L'âme se laisse séduire, abdique et se retrouve brisée."
"On parle d'amour quand on souffre. Le manque, l'absence, l'attente attisent la souffrance, et on appelle ça de l'amour."
"Ces deux hommes ne parlent que d'amour, on dirait des femmes. Gino est un grand compositeur; quant à l'écrivain, il écrit des poèmes qui calment même les chats..."
"L'Islam, on lui fait dire et faire ce qu'on veut. La religion, c'est souvent le tout et le contraire de tout. Il faut que chacun y puise son miel."
"Chaque personne est une armoire pleine d'histoires, il suffit d'ouvrir les tiroirs, c'est comme un chapelet qu'on égrène."
Tahar Ben Jelloun
Découvrez aussi le magnifique billet de Nad !
Points N°746
ISBN 978-2-02-041390-9
286 pages
(reçu pour mon anniversaire)
Je n'ai jamais lu cet auteur mais tu parles si bien de ce titre que je pourrais me laisser tenter.
RépondreSupprimerN'hésite pas, fonce ! Tu ne devrais pas le regretter.
SupprimerBon dimanche. :)
Tu sembles tellement conquis que l'on ne peut que le noter. Merci de nous faire partager ton enthousiasme.
RépondreSupprimerBon dimanche sous le soleil dans le sud-ouest. FLaure
J'espère que ton dimanche a été aussi ensoleillé que le mien. Merci de ton passage.
SupprimerMignon ton exemplaire ;-)
RépondreSupprimerN'est-ce pas ! ;-)
SupprimerJe vois que tu t'es laissé embarqué par l'écriture magistrale de l'auteur et ses personnages enchanteurs.
RépondreSupprimerTotalement, ce livre est un enchantement...
SupprimerMerci qui ?^^
Je ne vois pas de qui tu parles :-D
SupprimerWaouw! Encore une fois, la lecture de ta chronique me donne envie de découvrir ce roman! C'est ma PAL qui te remercie ;-)
RépondreSupprimerFonce, ce livre est sublime ! :)
SupprimerTon billet me donne envie de découvrir ce livre, merci !
RépondreSupprimerTu en parles avec tant de passion, c’est si beau de te lire. Les citations sont prenantes, émouvantes, profondes… Tes mots à toi sont tout aussi poétiques pour en parler, à chacune des lignes on peut sentir à quel point ce livre t’a bouleversé. Tu dis avoir eu du mal à en parler parce que tu l’avais adoré. Quand c’est trop grand, trop fort… je te comprends bien. Un roman forcément très émouvant et profondément humain. (p.s. : je suis inscrite à ta newsletter depuis peu, sous « capucine etc », et je ne reçois pas la newsletter. Je ne sais pas pourquoi…)
RépondreSupprimerUn magnifique souvenir de lecture...
SupprimerPour la newsletter, je suis au courant mais je ne sais pas comment solutionner le problème... :(