dimanche 25 février 2018

Et mon luth constellé - Ariane Schréder



« Iris.
Je n'arrive pas à l'imaginer morte.

Tombée du ciel comme un grand oiseau blanc. Striant la nuit. Avalée par la mer.
Boule de feu peut-être, étoile filante ou météore. Et alors seulement cela devient possible. Aigu jusqu'à l'évidence, malgré tout ce qui à l'intérieur résiste de peine et d'incrédulité, de révolte et de scandale. Iris s'en est allée aussi soudainement, aussi brutalement, qu'elle était arrivée.
Et nous avait, une fois déjà, quittés. »
 

Il est des liens qui ne s’expliquent pas. Comme l’amitié entre un adulte et un enfant par exemple, comme celle d’Iris et de Louise.

Iris est une comédienne un peu fantasque, un être de nulle part, la beauté et la fragilité de la fleur du même nom. Elle débarque un jour dans un petit village de montagne, à l’ombre d’un château cathare, où vit Louise, une petite fille de dix ans.

Louise est d’emblée fascinée par cette personnalité peu commune, pleine d’entrain, d’audace et si douce à la fois.

Iris va s’installer dans une mansarde comme une colombe en haut d’un pigeonnier. Prendre de la hauteur ou y observer le monde, son nouveau petit monde, à l’abri des regards.

La mansarde est située au-dessus de la librairie du vieux Georges. Un vieux bougon qui vit quasiment en ermite dans une boutique qui tient davantage de la caverne d’un bouquiniste, aux piles de livres à la stabilité improbable, que de la librairie aux rayonnages épurés et sans âmes. Une librairie dont il a lu tous les livres…

Comme une tornade blanche bienveillante, Iris dépoussière le lieu, redonne leur sens premier aux ouvertures trop longtemps obstruées et la vie se réapproprie les lieux.

Sur sa lancée, elle va donner des lectures au café du village. Des soirées où tout le monde se retrouve sans doute plus pour les représentations de la tragédienne Iris que pour la portée des œuvres littéraires proposées mais peu importe.

Aux lectures d’Iris, on écoute aussi bien des extraits de La Chanson de Roland d’Ian Short que de Belle du Seigneur d’Albert Cohen, de L’Iliade ou de L’Amant de Lady Chatterley, des lectures dont il restera forcément quelque chose après le départ d’Iris.

Oui, je ne vous ai pas dit, Iris est partie comme elle est arrivée, sans crier gare. Il ne pouvait pas en être autrement, Louise le savait, le redoutait et a eu bien du mal à s’en remettre.

Pour le lecteur aussi, pas même découverte, Iris n’est déjà plus. Le roman s’ouvre sur sa mort, bien des années plus tard, et Louise, sous le choc, tente de remonter le fil de son histoire dans le but ou plutôt le prétexte de raconter son Iris à la fille de son amie regrettée… 

Et mon luth constellé, titre emprunté à un vers de Nerval, est une belle ode à la littérature, à l’amitié et aux relations entre les êtres, portée par l’écriture sensible et poétique d’Ariane Schréder que je découvre avec ce roman particulièrement touchant.





ISBN 978 2 35087 435 7
256 pages
2018
18€

jeudi 15 février 2018

Fondu au noir - Ed Brubaker Dessin - Sean Phillips - Elizabeth Breitweiser



"Ce sont toujours les petits riens qui rouvrent les portes de l'oubli. Les détails... Un rouge à lèvres évoque un sourire... Le sourire une voix... Puis un visage...
Et d'un coup, Charlie comprend chez qui il vient de se réveiller juste avant de la trouver morte sur le sol du living."

Le fondu de l’âge d’or du cinéma que je suis ne pouvait pas passer à côté de ce monumental roman graphique.

Dans une ambiance polar qui m’a rappelé L.A. Confidential de James Ellroy, se croisent  stars, starlettes, professionnels du cinéma, pourris et les rôles sont parfois étonnamment interchangeables surtout en pleine chasse aux sorcières.

Quand Charlie Parrish, scénariste sur le déclin, se réveille dans une baignoire, il n’a plus beaucoup de souvenirs de la veille. Ah si, des brumes de son esprit émerge le souvenir d’une danseuse et d’une pipe dans un dressing ! Mais, quand dans la pièce d’à côté, il découvre le cadavre de son amie Valérie Sommers, la star du studio qui l’emploie, c’est la douche froide. Qu’a-t-il bien pu se passer ici la veille ?

Comprenant qu’il pourrait facilement se faire broyer par le studio, Charlie va tenter de remonter le fil de cette funeste nuit…

Une histoire envoutante comme un bon roman noir et difficile à lâcher qui rappelle la toute-puissance des studios de l’époque sur leurs employés, stars ou simples gratte-papiers. A travers certains personnages secondaires, on s’amusera de retrouver l’ombre de vedettes de l’époque comme James Dean ou Montgomery Clift.

Une plongée en eaux troubles dans cette usine à rêve qui peut très facilement transformer votre vie en cauchemar. 

Fondu au noir
Scénario : Ed Brubaker
Dessin : Sean Phillips
Couleur : Elizabeth Breitweiser

 The End

Merci à Babelio & aux Éditions Delcourt !

Les avis de Mo' et Jérome.
ISBN 978 2 7560 9504 2
400 pages
2017
39,95€
 

mardi 6 février 2018

Elle s'appelait Françoise... - Catherine Deneuve & Patrick Modiano



La rencontre avec certains livres se fait parfois de manière étonnante.

Un jour, en surfant sur le net, je tombe sur un livre consacré à feu Françoise Dorléac signé par sa sœur Catherine Deneuve et… Patrick Modiano. Intrigué par la présence de ce dernier dans un projet plutôt « people » et attiré par la superbe couverture, j’ajoute ce livre à mon pense-bête. Elle s’appelait Françoise… 

Quelques mois ou années plus tard, un samedi soir, je repense à ce livre et cherche à me le procurer sur un site de ventes d’occasion. Le prix me freine un peu et je me dis que je le trouverai peut-être un jour dans un de mes vide-greniers dominicaux, on peut rêver…

Le lendemain matin, à la fraiche, direction un vide-grenier pas loin de chez moi. Je farfouille sur le stand d’un pseudo bouquiniste. Je dégote un superbe livre sur Coco Chanel aux Éditions de la Martinière pour une poignée d’euros. Mon achat réglé, je quitte le stand quand, dans un carton camouflé sous un autre, j’aperçois une photo à dominante bleue. Je pense tout de suite au livre recherché la veille. Non, ça ne peut pas être lui. Je soulève le carton et si, c’est bien lui et en parfait état ! Je retourne vers le vendeur en quête du prix. « Il est 6€ mais pour vous ce sera 5 ! » Vendu !

Quelques mois passent. Vendredi, je range des livres et retombe sur ce livre dont je veux parler depuis un moment. Je l’ai lu et aimé mais comme tant d’autres, il est passé à la trappe sans que je fasse de billet. Je le mets de côté. Il faut que j’en parle.

Samedi soir 18h15, le lendemain donc, je mets France Inter pour écouter Ça peut pas faire de mal, l’émission de Guillaume Gallienne. Catherine Deneuve est son invitée pour lire des passages d’œuvres de Patrick Modiano. Un des premiers extraits lu est tiré de ce livre ! Hasards et coïncidences… 

« Telle était aussi Françoise Dorléac. A la fois timide et audacieuse. Les gestes abruptes mais d'une souplesse d'algue. L'extravagance mais aussi les tourments secrets. Légère, éblouissante et le regard quelquefois triste. On n'était jamais sûr de bien connaitre son visage. Tout en contrastes, en inquiétudes, de celles qui font le scintillement des étoiles. » 

Le livre s’ouvre sur un texte signé François Truffaut. Le réalisateur et la comédienne se sont aimés. Il l’a fait tourner dans La Peau Douce. Un film superbe. Un grand film trop méconnu. Regardez-le !

Puis c’est au tour de Patrick Modiano de se souvenir de la comédienne. Un texte mélancolique d’une dizaine de pages sur la mémoire, sur les souvenirs, forcément. Sur ce qui la lie à elle.

Enfin c’est à Catherine Deneuve d’évoquer sa sœur ce qu’elle avait toujours refusé jusqu’alors. L’échange se fait avec la réalisatrice Anne Andreu à l’occasion d’un documentaire consacré à la comédienne. Documentaire dont ce livre publié chez Canal + Éditions  en 1996 est tiré. Une  nouvelle version est ressortie chez Michel Lafon en octobre 2017.

La voix grave de  Françoise Dorléac se rappelle à nous. On découvre son caractère bien trempé, son intolérance parfois, ses fragilités, son manque d’assurance, ses doutes.

Agrémenté de superbes photos, c’est un très bel hommage qui donnera envie de découvrir ou redécouvrir cette comédienne trop tôt disparue. Un livre tout en émotions, la douleur de la perte dont on ne se remet jamais vraiment, le chagrin d’une sœur, les souvenirs, joyeux aussi…

www.michel-lafon.fr

Pour réécouter Ça peut pas faire de mal de samedi dernier, cliquez ICI !   

Canal+ Éditions
ISBN 2 226 08838 5
128 pages
1996
- €

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